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23 décembre 2016 5 23 /12 /décembre /2016 13:39

14 mai 1901 dans le journal de Clémenceau L’AURORE, un extrait de la présentation de

 

 

« Emile Zola vient de publier Travail, le second volume de la série dite des Quatre Evangiles… Avec ce sentiment d’inquiétude qui demeure au fond des plus grands esprits et qui n’est en somme, que l’aspiration de l’être humain vers plus de perfection.

Travail est un livre admirable, un des mieux faits, des plus profonds… des plus vivants… un des plus émouvants aussi qui soient sortis de son imagination généreuse, de son fécond et puissant génie. Emouvant, non seulement par les qualités dramatiques dont il est rempli, par la vie ardente, passionnée, sans cesse créatrice qui l’anime de la première à la dernière page, mais encore – et c’est là, à mon sens, la beauté nouvelle de ce livre extraordinaire – par la mise en œuvre, par la construction forte et logique d’un idéal social : le bonheur humain dans le travail réorganisé, dans le travail devenu, enfin ce qu’il doit être, une joie d’homme libre, au lieu de rester ce qu’il fut toujours, plus ou moins, une souffrance, une abjection d’esclave… Glorification sublime, magnifique épopée du travail conquérant, peu à peu, avec toutes les résistances humaines, toutes les forces et toutes les richesses de la nature, pour en faire, non plus le privilège de quelques-uns, mais la jouissance et la propriété de tous !...

L’œuvre est là, debout, devant nous. C’est une œuvre d’amour et de pacification… Et elle rayonne de lumière et elle vit non seulement de la vie glorieuse des chefs-d’œuvre de l’art… mais de la vie harmonieuse de l’Idée…

Soyez sûrs qu’elle fera, pour l’avènement de la société future, pour la conquête de la justice prochaine ; plus que n’ont pu faire jusqu’ici, les sèches démonstrations et les discussions hargneuses des révolutionnaires professionnels…

Quelques-uns diront de ce livre merveilleux et prophétique, que c’est une utopie… Une utopie… C’est bien vite dit… Et cela est facile à dire car cela dispense de réfléchir et de penser. En général, nous appelons utopie des choses qui ne sont point encore réalisées… Avant qu’il ne fonctionnât, le suffrage universel était, lui aussi une utopie… Quelle matière admirable pour exercer son ironie et son bon sens !... Les chemins de fer, toutes les fééries de l’électricité, toutes les conquêtes de la vie moderne… utopies également ! Tout ce qui fait partie aujourd’hui de notre mécanisme social et que nous jugeons, bien insuffisants à nos besoins nouveaux… tout cela autrefois était une utopie…

Dans un drame admirable, Emile Zola imagine de substituer à ce régime du salariat un régime de liberté et d’amour, c’est-à-dire, l’association, pour l’œuvre commune, du capital, du travail et du génie… l’union de toutes les forces créatrices qui furent si mal utilisées, séparément, et qui par leur fusion intime, loyale, doivent conquérir toute la nature, et avec toute la nature conquise, tout le bonheur !...’est un peu, on le voit, l’application des doctrines collectivistes, avec cette différence essentielle, pourtant, que Emile Zola donne à l’individu un rôle moins diminué, moins asservi… plus créateur, et qu’il laisse à l’être humain une plus large expansion de sa personnalité…

Naturellement, cela ne va pas sans résistances, sans secousses, sans luttes…

Et Travail est l’histoire de ces luttes et de ces efforts… Histoire infiniment émouvante où, peu à peu, à travers mille péripéties, l’on voit l’esprit nouveau l’emporter sur l’esprit de routine, où devant les résultats acquis, les transformations lentes et successives, par des gradations habilement ménagées, nous assistons à ce spectacle de l’amour triomphant de la haine… »

Octave Mirbeau

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