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26 avril 2009 7 26 /04 /avril /2009 17:59

  Un texte de Jean-Michel Besnier. Ou de la maternelle à l’université, bis…

 

Sur la porte vitrée de la Maison de la recherche de Paris IV, 28, rue Serpente, on a apposé l’affiche du film de Godard  Le Mépris. Brigitte Bardot offre son visage au sentiment le plus partagé par la communauté universitaire, depuis déjà 8 semaines : du professeur d’université à l’appariteur, en passant par les étudiants, les secrétaires et les bibliothécaires, c’est ce même sentiment qui fait solidarité et qui explique l’impuissance de tout corporatisme à étouffer le mouvement. Quelques gages sont-ils donnés au corps des enseignants-chercheurs quant à la défense de leur statut, ce n’est pas pour cela qu’ils en appellent à la cessation de la mobilisation. Il y a aussi leurs collègues formateurs d’enseignants, issus des IUFM, auxquels on refuse toute reconnaissance de compétences. Et puis, les personnels administratifs et techniques (les BIATOS), que l’on menace de précariser davantage encore. Et puis, les étudiants qui comprennent que les jours d’une Université accueillante et encore ouverte aux Humanités sont sans doute comptés. Et puis, les chercheurs des grands organismes qu’on va transformer en agences de moyens… Et puis, il y a l’ensemble de cette communauté, soudée par le mépris dans lequel les tiennent ceux qui gouvernent, cette communauté qui fait l’épreuve commune du mépris des médias qui ne s’avisent pas de la richesse des échanges dont la mobilisation est l’occasion et de l’ampleur de la crise qui touche l’Université.
La situation se radicalise. C’est une évidence. C’est-à-dire qu’elle va au-delà de la simple revendication adressée au ministère, en vue d’améliorer le statu quo. Ces derniers jours, on pouvait croire que le mouvement touchait à sa fin et nous étions nombreux, parmi les professeurs, à imaginer le retour dans nos amphis, même si la mobilisation pouvait demeurer contre une loi – la LRU – dont l’application révèle le caractère impraticable et peut-être ruineux pour les valeurs universitaires. Nous étions souvent soulagés, parce que la situation était inconfortable pour la plupart d’entre nous : militer contre cette loi, aux côtés des réactionnaires de tous poils qui veulent conserver l’Alma Mater dans sa pureté, en se dissimulant que notre Université a besoin de profondes réformes – ce n’était guère gratifiant. Nous étions soulagés de nous dire qu’un frémissement du côté du ministère allait préluder à une remise à plat qui permettrait ces réformes. C’est à ce moment que le mouvement des BIATOS a pris la relève : la LRU risquait de conduire à externaliser les fonctions qu’ils occupent, la pratique déjà illégale des CDD renouvelés tous les trois mois, pendant au moins 6 ans, allait s’intensifier, les 1 000 euros que la plupart touche chaque mois ne seraient pas revus à la hausse… Comment les bénéficiaires des services rendus au quotidien par ces personnels pourraient-ils ignorer ces revendications, même au nom de la mission qu’il s’agirait d’abord de remplir auprès de leurs étudiants ?
Et ces étudiants, doit-on s’étonner qu’ils aient fini par comprendre que les revendications sur les effets d’une loi annonçant l’autonomie avaient quelque chose à voir avec le non-accueil qu’on leur fait dans nos sociétés en crise ? Ils sont allés enquêter aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne, en Grèce… pour découvrir comment on fermait des cursus (comme la linguistique dans telle université britannique), comment on élevait les frais d’inscription dans des proportions insupportables (un peu partout), comment on les maintenait en minorité jusqu’à pas d’âge (à force de stages)… Tout cela sur fond d’une indifférence des médias qui se bornent de temps en temps à relater les initiatives les plus exotiques de leur protestation (la ronde des obstinés, par exemple). Mais, de tribune d’opinions, point. On attend les vacances de printemps, sans doute pour raconter à l’imparfait l’histoire du mouvement de 2009.
Aujourd’hui les professeurs – dont je suis – voudraient retrouver leurs étudiants, les aider à rattraper le temps perdu, leur ménager la possibilité de passer leurs examens et de valider leur semestre. Mais les portes de l’Université ne s’ouvrent pas, les salles de cours demeurent fermées. On correspond donc par mail ou l’on se rencontre dans quelque AG, devant une porte fermée, dans une brasserie... Chacun comprend que s’est engagée une dynamique qui n’est pas le résultat du noyautage par des partis politiques ou des syndicats, qu’il s’agit d’une mise en question de fond telle qu’elle ne peut laisser indemne l’institution à laquelle nous sommes attachés. Le découragement saisit les plus fragiles mais l’agressivité contre de prétendus fauteurs de trouble n’existe pas. Le mouvement n’obéit pas à une stratégie mais à une contagion qui défie souvent l’argumentation. S’il faut s’efforcer de n’y pas céder comme à une fatalité, on doit chercher à l’accompagner et pour cela, ne pas perdre le contact avec les étudiants qui font là l’expérience du rapport de force dont n’est jamais exempte la démocratie.


A tous (sauf les bandits & cie) : du mépris, faisons table rase !

 


Jean-Michel Besnier est agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques. Il est professeur de philosophie à l'université de Paris IV – Sorbonne.

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