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13 mars 2007 2 13 /03 /mars /2007 08:40

Lu sur le blog du Président de Emmaüs France, Martin Hirsch, qui a publié un "Manifeste contre la pauvreté".

où se niche le clivage droite gauche?

La question du clivage droite gauche fait couler beaucoup d’encre paradoxale. La question retrouve une nouvelle jeunesse avec le « ni droite, ni gauche » revendiqué par François Bayrou. Son actualité liée à la progression des sondages du candidat du centre, masque peut-être d’autres enjeux.
Partons de l’expérience d’Emmaüs. Nous sommes régulièrement confrontés à cette nécessité d’être classé quelque part… et il ne nous déplait pas que l’exercice ne soit pas si facile. Qu’observe-t-on ? Nous avons déjà eu l’occasion de remarquer que, dans nos actions et nos interpellations, chaque camp prend ou relève ce qui l’arrange. Quand nous expliquons le rôle de la société civile, quand nous indiquons qu’il ne faut pas tout attendre de l’Etat ou que les compagnons d’Emmaüs s’efforcent de vivre de leur travail, quitte à renoncer au bénéfice de certaines allocations, comme le RMI, nous sommes entendus de l’oreille droite. Quand nous nous insurgeons contre le non respect des obligations qui pèsent sur les communes en matière de logement social (loi SRU), quand nous dénonçons l’inégale répartition des richesses, quand nous promouvons l’économie solidaire ou quand nous défendons l’accueil inconditionnel dans nos communautés, nous sommes écoutés de l’oreille gauche. Mais nous somme rarement entendus en stéréo… En particulier, ni la gauche ni la droite ne savent nous dire comment il voient l’articulation entre une solidarité obligatoire, dont l’Etat doit être garant, et des mécanismes de solidarité facultatifs qui reposent sur la responsabilité d’autres acteurs, qu’il s’agisse des associations ou de la société civile au sens large.
Ceci peut conduire à livrer quelques remarques sur les vraies-fausses réalités du clivage droite gauche… en s’aventurant sur ce terrain miné et risqué, puisqu’il est toujours délicat de s’exprimer sur cette question sans être taxé, justement, de prendre position pour un camp, l’autre ou le troisième. Espérons que nous échapperons à cet étiquetage dans cet exercice controversé.
1) Sur la possibilité de faire gouverner ensemble la gauche et la droite.
Le débat sur le gouvernement d’union nationale, sur la vraisemblance de faire travailler ensemble responsables politiques de droite et de gauche, occulte les singularités de notre vie politique depuis 25 ans.
Première remarque : depuis 26 ans, nous avons eu 5 ans de gauche, deux ans de droite, cinq ans de gauche, quatre ans de droite, cinq ans de gauche, cinq ans de droite, dont 9 ans de cohabitation. Finalement, nous avons eu une sorte d’union nationale par alternances successives. Or compte- tenu du temps que prend une politique pour produire ses effets, on peut considérer que ces alternances si rapides rendent difficiles d’imputer clairement à une majorité les conséquences de ses propres choix sur l’ensemble de cette période. Ainsi, lorsque la pauvreté se remet à augmenter à partir de 2003 ou que les déficits sociaux se creusent à nouveau, il y a certainement une part imputable à la fin d’une législature et au début de la suivante.
Deuxième remarque : notre pays se caractérise par une intrication étroite entre les différents échelons : Européen, national, régional, départemental, communal. Quand un gouvernement est de droite, quand la plupart des régions sont de gauche, quand les départements et les grandes villes sont répartis entre la droite et la gauche, quand des pans entiers de la politique économique et sociale dépendent de négociations avec des partenaires européens qui ont choisi des options politiques différentes, n’y-a-t-il pas déjà, qu’on ne le veuille ou non une sorte d’union nationale mal assumée, qui ne dit pas son nom, mais qui, de fait, brouille également les clivages ?

2) Sur les mesures qui symbolisent le clivage entre la droite et la gauche.
Quelles sont les mesures citées le plus souvent comme emblématiques du clivage droite gauche dans le débat actuel ? les 35 heures ; une politique de subvention publique de certains emplois pour lutter contre le chômage ; l’évolution du SMIC.
Or, même sur ces mesures emblématiques, le clivage est moins évident qu’il n’y paraît. Les 35 heures ? On a oublié que c’est sous le Gouvernement de M. Juppé qu’avait été votée une loi dite de « de Robien » qui permettait de réduire jusqu’à 35 heures la durée hebdomadaire du travail dans des entreprises, afin de permettre le partage du travail, soit dans des conditions « défensives » pour éviter le licenciement, soit dans des conditions « offensives » pour créer des emplois. Les emplois subventionnés ? Ils ont changé de nom à chaque majorité, mais il y a une assez grande continuité entre les TUC, les CES, les CEC, les emplois jeunes, les contrats d’avenir, les contrats d’accompagnement dans l’emploi et autres contrats aidés, y compris dans leurs insuffisances. Cette continuité aurait été mieux assumée qu’elle aurait évité ces interruptions et ces changements incessants qui induisent de terribles effets pervers dans l’efficacité de la politique d’insertion. L’évolution du SMIC ? Quand la gauche propose le SMIC à 1 500 euros, elle essuie trois types de critiques : c’est trop ; c’est moins que ce qui a été fait entre 2002 et 2007 ; ce n’est de toute manière pas plus que l’évolution naturelle du SMIC sur une période de 5 ans, même sans coup de pouce. Et la gauche hésite elle-même à dire s’il s’agit de 1500 euros nets ou bruts et à quelles échéances, ce qui ne permet pas de dire si le rythme d’évolution du SMIC serait significativement différent avec la droite ou la gauche.
Voilà pour le volet social. Sur l’environnement, la situation est encore moins marquée. Les candidats ayant accepté les règles du jeu de M. Hulot, ils se retrouvent désormais tous liés par le même pacte, comme si les défis que posent la protection de l’environnement pouvaient s’envisager indépendamment des grandes questions économiques et sociales et ne donnaient plus lieux à des choix ou à des arbitrages entre des options incompatibles entre elles.

3) Sur les grands objectifs :
On pourrait s’attendre à ce que la différence entre la gauche et la droite, si elle ne s’illustre pas mesure par mesure, s’éclairerait par de grands objectifs. En matière d’inégalités pour commencer, que la gauche affiche un objectif de réduction des inégalités différent de celui de la droite. Sur le modèle social ensuite : que la gauche et la droite nous explique quelles sont les protections qui doivent être assurées par la collectivité – et jusqu’à quel niveau – et quelles sont seules qui doivent être désormais facultatives, qu’il s’agisse de santé, de retraite, d’éducation par exemple. Sur une nouvelle conception des pouvoirs publics également : existe-t-il une différence entre une décentralisation de droite et de gauche ? De quoi l’Etat sera-t-il garant dans l’un et l’autre cas ?
Là encore, les candidats et les partis semblent réticents à se prononcer sur des objectifs qui traduisent de véritables choix de société et préfèrent proclamer des intentions si générales qu’elles ne définissent pas, à terme, deux projets de société aisés à distinguer.

4) Sur les cibles électorales de droite et de gauche :
« Dis moi à qui tu t’adresses, je te dirais qui tu es ». Lorsque la nature des propositions n’est pas en elle-même suffisante pour définir un clivage entre la gauche et la droite, c’est souvent la manière dont on s’adresse à une clientèle supposée de droite ou de gauche qui fait les véritables différences. La droite aura naturellement davantage tendance à s’adresser aux médecins, aux agriculteurs, aux entrepreneurs. La gauche aux enseignants, aux ouvriers, aux titulaires des plus faibles revenus. La droite aura tendance à évoquer la question de l’immigration comme une preuve de sa fermeté, la droite comme une marque de sa générosité. Ceci reste en partie vrai. Il n’y a qu’à voir les intentions de vote des médecins et des agriculteurs pour voir que certaines accroches traditionnelles restent valables. Mais d’autres clivages se sont estompés. C’est ce que montre la tentative maladroite de définir un seuil permettant de distinguer les riches des pauvres, à propos des questions fiscales. Ou le débat sur la « réhabilitation du travail » : quand la droite s’adresse à la « France qui se lève tôt », s’agit-il d’une population différente de « cette France des travailleurs précaires » à laquelle fait référence la gauche ?

Bref, qu’il s’agisse des mesures emblématiques que l’on oppose, de la vision de la société que l’on défend, des électorats que l’on cultive, des thèmes que l’on développe, du modèle social qu’on promeut, les différences entre la gauche et la droite sont moins simples qu’avant et surtout moins nettes qu’on veut nous le faire croire. Et il est assez naturel que cela ait un impact favorable sur ceux qui refusent de s’inscrire dans ce clivage traditionnel, en le contournant par le centre, par les extrêmes ou par la radicalité. Est-ce que cela signifie que le clivage entre la droite et la gauche a disparu ? Non, cela signifie qu’il s’est déplacé. Le clivage entre la droite et la gauche définit moins aujourd’hui deux conceptions très différentes de la société que deux tactiques différentes, ou plus exactement trois, pour conquérir le pouvoir et pour le garder : la première consiste à dire que l’on est de gauche, la deuxième que l’on est de droite ou la troisième que l’on n’est ni de droite, ni de gauche.
Si cette analyse est juste, faut-il s’en féliciter ou faut-il s’en inquiéter ? J’aurais tendance à dire les deux. Il faut se méfier aussi bien des faux consensus que des fausses querelles. Il faut craindre que faute de d’être en mesure de définir des projets de société différents, la gauche et la droite cherchent à se distinguer l’une de l’autre par des réflexes identitaires qui les conduisent à stigmatiser des cibles symboliques ou à défendre des protections illusoires. C’est ce qui peut conduire la droite et la gauche à cultiver chacune leur démagogie : le discours sur les immigrés et les assistés du côté droit ; l’engagement sur des droits virtuels qui se retournent parfois contre ceux qui sont censés en bénéficier du côté gauche.
Que peut-on suggérer ? Trois pistes.
La première – quitte à me répéter – c’est que chacun s’engage sur quelques objectifs précis, mesurables, réfutables et cohérents. Quelques exemples dans le domaine social: la proportion d’enfants sous le seuil de pauvreté à l’issue d’un quinquennat ; l’évolution d’inégalités de revenus et de patrimoines ; la part de la protection collective dans les dépenses de retraite, de santé, d’éducation, de logement. Si droite, gauche et centre divergent sur ces engagements, on saura mieux à quoi s’en tenir sur le positionnement des uns et des autres…
La deuxième est d’avoir une conception différente du rôle de la majorité et de la minorité. Dans les associations où il existe une vie démocratique, il peut y avoir des lignes distinctes représentées par des courants différents. Cela n’empêche pas d’avoir des majorités d’idées ou des consensus sur certains projets et d’utiliser les temps de démocratie que sont les assemblées générales pour faire trancher de grandes options. Dans les conseils généraux où nous montons, avec l’agence nouvelle des solidarités actives, des programmes expérimentaux sur le retour à l’emploi et l’insertion, la décision de s’engager dans un tel programme est fréquemment prise à l’unanimité. Cela ne veut pas dire qu’il doit y avoir toujours consensus, qu’il ne peut plus y avoir de majorité ou d’opposition, mais cela signifie qu’il peut y avoir des mesures qui reflètent un équilibre atteint entre deux positions. Pourquoi demanderait-on aux partenaires sociaux, qui représentent des intérêts divergents de négocier et pas aux forces politiques de pouvoir, sur certains points faire de même ? Pourquoi les referendums consistent toujours à demander au peuple français de répondre par oui ou par non et non pas de trancher entre une option A et une option B ?
La troisième est de proposer une vision claire de l’équilibre des pouvoirs entre les différents échelons de décision européens, nationaux et locaux. C’est l’une des choses qui manque cruellement dans la campagne actuelle. La gauche semble davantage mettre l’accent sur une conception de la décentralisation qui donne davantage de responsabilités aux collectivités territoriales – en matière d’emploi par exemple – alors que la droite semblerait leur accorder plus de liberté – en matière de logement , si l’on s’appuie sur les débats concernant le logement. De quoi l’Etat doit-il être garant ? Quelles sont les différences de politiques qui peuvent être admises d’un territoire à l’autre ? Comment doivent être réduites les inégalités entre territoires ? Clarifier ces questions, c’est peut-être contribuer à rendre plus lisibles les différences entre la droite et la gauche. C’est peut-être aussi cesser de contourner un problème lancinant : dans l’enchevêtrement actuel des responsabilités entre les différents échelons de décision, quel est le risque que la gauche comme la droite se trouvent aussi incapables l’une que l’autre de mettre efficacement en œuvre leurs programmes ? C’est ce que nous nous efforcerons d’illustrer dans un prochain texte.

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